Appel à communications

Marché(s) et Démocratie

Le 7ème Colloque International Philosophie Économique se tiendra à Reims du 29 au 31 mai 2024. Il est organisé à l'Université de Reims Champagne-Ardenne par le centre de recherche en économie et gestion REGARDS. Comme lors de l'édition 2023, à la veille du colloque (28 mai), un atelier pour jeunes chercheurs sera organisé

Cette 7ème édition de la conférence portera sur le thème « Marché(s) et Démocratie ». Toutes les contributions en économie et en philosophie conçues au sens large sur ce thème sont particulièrement bienvenues. Nous sollicitons également des contributions sur tout autre sujet lié à la philosophie économique.

 

Les marchés et la démocratie figurent, du moins dans les sociétés occidentales contemporaines, comme les deux procédures de décision collective les plus importantes. Depuis le XIXe siècle au moins, les marchés constituent le principal moyen d’allocation des ressources entre les membres de la société. La démocratie, en tant que forme générale de régime politique, est la procédure principale d’allocation du pouvoir politique, de production des biens publics et, en fin de compte, des choix de politiques publiques. Leur articulation au moyen d’une division du travail visant à promouvoir l’ouverture économique et politique, la concurrence ainsi que la responsabilité, est souvent présentée comme une caractéristique constitutive des « ordres d’accès ouverts », tels que caractérisés par certains économistes et politistes.

Cette vision simple et générale de l’importance de la complémentarité des marchés et de la démocratie dissimule cependant de nombreuses complexités intéressantes. Du point de vue de la philosophie économique, elle nous invite à explorer au moins trois vastes ensembles de réflexion.

En premier lieu, on peut repérer une tendance parmi les économistes et les politologues à mobiliser l’analogie entre les marchés et la démocratie. Cette analogie repose en partie sur des travaux visant à développer une analyse économique de la démocratie, identifiant ainsi un « marché politique » où l’offre politique rencontre la demande politique. Cette approche étudie le marché politique grâce aux outils économiques traditionnels du choix rationnel et de la théorie des jeux. Au niveau analytique, elle est également motivée par l’observation selon laquelle les marchés et la démocratie peuvent être interprétés comme des procédures de décisions collectives en tant que telles. Bien qu’ils diffèrent significativement quant à leurs mécanismes et objets spécifiques, les marchés et la démocratie partagent néanmoins des attributs formels les rendant sujets à une analyse en termes de règles de choix collectif. L’attrait de cette analogie a également des origines plus normatives. Il s’appuie en particulier sur la croyance normative selon laquelle les consommateurs et les citoyens devraient être tous les deux souverains. Certaines critiques ont toutefois soutenu que l’analogie marché/démocratie est non seulement erronée, mais qu’elle a aussi un effet performatif néfaste qui renforce une conception de la démocratie où les citoyens agiraient comme des consommateurs passifs.

En deuxième lieu, une préoccupation de longue date est que, loin d’être complémentaires, les marchés et la démocratie sont actuellement en conflit et que le développement des uns est susceptible de nuire à l’autre. Cette préoccupation a pris de nombreuses formes et est partie dans de nombreuses directions. D’une part, les libertariens par exemple, ont tendance à considérer la démocratie comme un substitut illégitime des marchés afin d’allouer les ressources et prendre des décisions collectives, même dans le cas de biens publics. D’autre part, de nombreux chercheurs en sciences sociales ont entretenu l’idée que le développement des marchés a affaibli les normes traditionnelles ainsi que les valeurs civiques et politiques soutenant toute démocratie saine. Une version de cette thèse, qui soutient que les marchés (par exemple, les marchés financiers) privent les citoyens de leur droit légitime de décider collectivement de leur sort, est fréquemment évoquée. Cette vision de la relation entre les marchés et la démocratie contraste de manière frappante avec des analyses plus optimistes qui soulignent leur complémentarité en tant que partie intégrante des « institutions inclusives » favorisant le développement économique (e.g., Acemoglu and Robinson 2013).

En dernier lieu, la prévalence des marchés et de la démocratie dans les sociétés occidentales contemporaines fait écho à la thèse largement discutée de Francis Fukuyama (1989), selon laquelle la chute de l’Union Soviétique signifierait le triomphe du capitalisme de marché et des démocraties libérales. Plus de trente ans après cette proclamation, les développements économiques et politiques nous poussent à reconsidérer la possibilité que ni les marchés, ni la démocratie – du moins dans sa version libérale – ne soient les institutions sociales ultimes nous permettant de vivre ensemble. Entre la crise financière de 2007-2009 et la montée des inégalités économiques, le mécontentement grandit à l’égard de l’économie de marché et des politiques publiques qui la promeuvent. Mais ce mécontentement se dirige également vers la démocratie, du moins dans sa forme représentative. D’une part, de plus en plus de citoyens appellent à des formes plus populaires, directes, et inclusives de la démocratie et d’autre part, des sondages suggèrent que, notamment dans les pays d’Europe occidentale et d’Amérique du
Nord, le soutien aux valeurs démocratiques et aux institutions s’affaiblit en faveur de formes de gouvernement plus autoritaires. Enfin, certains indicateurs suggèrent fortement que la combinaison d’institutions politiques, économiques et démocratiques, caractéristique des démocraties libérales, perd du terrain dans le monde.

Ces trois ensembles de considérations tournent autour des deux faces de la même question générale : (i) la nature distinctive des sociétés qui s’appuient sur les marchés et la démocratie pour prendre des décisions collectives et (ii) ce qui rend (ou non) ces sociétés normativement attrayantes. Cette question est vaste et peut être explorée à partir d’un large éventail de perspectives théoriques et de méthodes empiriques constitutives de la diversité des approches à l’intersection de l’économie et de la philosophie. Nous accueillons en particulier des contributions concernant la relation entre les marchés et la démocratie utilisant des outils et modèles des sciences sociales (théorie des jeux, théorie du choix social, modèle à base d’agents, …), mobilisant l’histoire de la pensée, adoptant une approche interdisciplinaire qui combine la philosophie politique ou sociale avec l’économie normative ou l’économie politique, et se positionnant dans une perspective féministe.

Les contributions peuvent donc aborder un large éventail de thèmes, parmi lesquels figurent par exemple :

- La pertinence contemporaine des visions « élitistes » de la démocratie (par exemple, Schumpeter).
- L'articulation entre la « liberté des modernes » et les « libertés des anciens » dans les sociétés marchandes.
- La pertinence des modèles formels et des résultats issus des sciences sociales (théorèmes d'impossibilité, théorèmes d'agrégation) pour l'étude et la justification de la démocratie.
- La relation entre les libertés économiques et les libertés civiques/politiques.
- Le rôle des valeurs démocratiques dans le développement économique.
- La pertinence de la caractérisation du populisme comme démocratie « illibérale ».
- Marchés et démocratie dans les sociétés non capitalistes.
- La relation entre les activités exercées en dehors du marché (par exemple, le travail de soins) avec les processus démocratiques et marchands d'allocation du pouvoir politique et des ressources.
- L'étude de l'interdisciplinarité entre sciences économiques et sciences politiques.
- La comparaison de la souveraineté du consommateur et de la souveraineté citoyenne.
- La place des processus décisionnels démocratiques délibératifs dans une économie de marché.
- La question de la cohérence entre marchés et capitalisme.

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